«L’Alt-Right» en Europe

 
 
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Au début du mois, VOX-Pol a publié l’Alt-Right Twitter Census, une analyse des activités en ligne de ce « mouvement parapluie » de droite. Ce rapport a examiné près de 30 000 adeptes de comptes Twitter qui s’auto-identifient comme souscrivant à ce mouvement par leurs identifiants ou leurs informations publiées sur leur profil.

Ce rapport brosse le portrait d’un mouvement de droite dont le centre de gravité se trouve aux États-Unis, même si l’histoire ne s’en arrête pas là. Dans les données, et au-delà de celles-ci, le mouvement nationaliste blanc a établi des ancrages et des alliances dans le monde entier, y compris en Europe et en Australie.

Un certain nombre de facteurs ont contribué à donner à ces données une couleur américaine. Tout d’abord, la principale conclusion du rapport selon laquelle le Président américain Donald Trump entretiendrait une relation symbiotique avec ce mouvement en cultivant ses doléances et en fournissant un point d’ancrage pour assurer une certaine cohérence au sein de ce regroupement très divers d’idéologies extrémistes représentées dans l’ensemble des données. Parallèlement, ce mouvement a apporté son soutien à Trump, comme en témoignent pratiquement tous les aspects de son activité, y compris les mots utilisés dans les profils Twitter et les hashtags et liens twittés.

Parmi les autres facteurs qui donnent à ces données un certain profil américain, citons l’emploi du terme anglais « alt-right » pour établir le terrain et la présence de mouvements d’extrême droite plus vastes et plus cohérents ailleurs dans le monde, qui s’identifient principalement à leurs propres idéologies et ont moins besoin de se fédérer sous un « grand pavillon » de la bannière « alt-right ». Néanmoins, ces données mettent en exergue les liens internationaux de la droite.

J’ai constaté à maintes reprises que la langue est l’un des principaux obstacles à la formation de réseaux sociaux cohésifs. Il n’est donc pas tout à fait surprenant que la deuxième langue la plus répandue soit le néerlandais, qui représente environ six pour cent des utilisateurs. Du point de vue linguistique, quoi de plus logique puisqu’au moins 90% des résidents néerlandais parlent anglais.

La politique est également à la source de ce lien, si l’on considère le parti politique de droite Partij voor de Vrijheid (PVV, le « parti de la liberté ») et son dirigeant, Geert Wilders, figure notoire de l’extrémisme antimusulman, qui, jouissant d’un large auditoire international, twitte en anglais aussi bien qu’en néerlandais. Le sentiment antimusulman étant l’un des thèmes les plus répandus au sein du réseau « alt-right », la renommée internationale de Wilders a contribué à introduire les utilisateurs néerlandais dans les réseaux sociaux de l’alt-right. Le principal hashtag parmi les utilisateurs néerlandais du réseau était #PVV, et #Islam comptait aussi parmi les plus twittés.

Alors que d’autres partis européens d’extrême droite et anti-immigration ont des intérêts qui se recoupent considérablement avec ceux de la droite, leur participation au réseau a été beaucoup plus faible que celle du PVV, ce qui est probablement dû, du moins en partie, à la barrière linguistique.

Le succès électoral relatif de partis tels que l’Alternative für Deutschland (Alternative pour l’Allemagne) et le Rassemblement national français (l’ancien Front national) rend également moins utile pour ces groupes le label de « parapluie alt-right ». L’émergence de la droite aux États-Unis reflète la faiblesse relative de l’extrême droite dans la politique américaine bipartite dominante.

L’alt-right fonctionne en grande partie comme un bloc politique visant à consolider l’activité politique de l’extrême droite et à renforcer l’influence de groupes tels que les néonazis, qui ne pourraient pas rassembler indépendamment un grand nombre d’électeurs. Si les néonazis pouvaient former leur propre parti politique ou si l’environnement politique américain se prêtait davantage à une politique multipartite, le cadrage de l’alt-right ne serait peut-être ni nécessaire, ni souhaitable.

Une augmentation notable de l’activité européenne dans ce réseau est liée à une élection parlementaire très disputée en Slovénie, où un parti anti-immigration s’est imposé. Si les données ne sont pas claires, il est possible que cette activité ait fait partie d’une campagne d’influence dirigée, pouvant avoir été soit parrainée par l’État, soit lancée par des militants de droite. Précédemment, de telles campagnes d’influence ont su franchir les barrières de la langue, notamment lors de l’élection présidentielle française de 2017, durant laquelle les internautes de tendance alt-right ont bombardé sur les réseaux sociaux français le contenu d’e-mails volés au vainqueur final de la campagne, Emmanuel Macron. Ces explosions de portée internationale sont probablement dues à un brassage d’opportunisme idéologique, de soutien à des personnalités internationales de droite très en vue, comme la candidate Marine Le Pen, et d’ingérence ou d’amplification de campagnes d’influence parrainées par certains États.

Dans l’ensemble, le bloc « alt-right » présente avant tout une fonction fédératrice pour l’extrême droite américaine, qui ne bénéficie pas des avantages du multipartisme et doit trouver d’autres moyens d’exercer une influence au sein d’un système bipartite. Si cette étiquette de « mouvement parapluie » est moins nécessaire pour les mouvements d’extrême droite européens, les affinités idéologiques et les considérations tactiques signifient que la droite alternative (« alt-right ») américaine continuera à s’investir dans la politique européenne, sans pour autant jouer l’important rôle d’avant-garde auquel elle aspire aux États-Unis.

J.M. Berger est l’auteur d’Extremism (MIT Press, 2018). Il est boursier de recherche VOX-Pol et chercheur postuniversitaire à l’université de Swansea.

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